lunedì 4 febbraio 2013

Livre d'Artiste 2/3 -version française


COURT VOYAGE A TRAVER LE LIVRE D'ARTISTE par Tiziana Romanin

Un bel article du Corriere della Sera de septembre dernier (16/09/2012) évoquait brièvement  mais de manière attrayante le renouveau du lien entre art visuel et art littéraire : la renaissance du Livre d’Artiste.  L’article, entre autre, servait d’introduction au festival Artelibro de Bologne, mais le bref aperçu sur le rapport entre ces  arts allait bien au-delà de cet évènement spécifique. Nous savons tous que, depuis toujours, le mot et l’image, à travers le livre, entretiennent un rapport dialectique et discontinu, d’affinités, d’oppositions, de regards et de renvois mutuels. Depuis toujours, l’artiste et l’auteur se sont confrontés l’un à l’autre avec leurs propres moyens d’expression ; ils se sont aimés ou détestés, rapprochés ou opposés mais ils ont imaginé un terrain idéal d’expression commune et de complémentarité.

Oscar Wilde, Aubrey Bearsdley, Salomé, Mathews &Lane, Londres, 1894.








Paul Verlaine, Pierre Bonnard, Parallelèment, Vollard, Paris, 1900.


L’image comme ornement d’un texte, enchantement ou narration ; ou encore de manière plus autonome et indépendante, l’image comme évocation et interprétation. L’écriture et l’image, quoiqu’il en soit, au sein d’un rapport privilégié, multiforme et magique. De nombreux artistes et écrivains (et éditeurs) ont travaillé ensemble pour donner vie à de plus ou moins grands moments de vie littéraire et artistique.  Alors, l’image et la parole en lien avec les moyens propres d’expression du livre (typographie, reliure, etc.) ont donné naissance à des objets concrets mais symboliques, tangibles mais se référant à une essence invisible, intime et artistique. Si au XIXème siècle l’artiste se mesure au texte et l’interprète, c’est au XXème siècle que les expériences du Livre d’Artiste prennent de nouvelles formes et se multiplient.






Kandinsky, Klänge, R. Piper &Co. Verlag, Monaco, 1913.


Sous l’œil de grands éditeurs illuminés tels que Vollard, Maeght, Tériade (pour n’en citer que quelques uns) artistes et écrivains ou poètes ont composé des œuvres d’art que l’on peut feuilleter, toucher et approcher et dont on peut jouir bien qu’elles demeurent des expressions évocatrices et sensibles. L’art descend de son piédestal, sort de son cadre doré cher aux artistes jusqu’à l’impressionnisme.
C’est sans doute cela, bien plus que l’incitation à la destruction de la Victoire de  Samothrace, la véritable révolution contre la sainteté de l’œuvre d’art que souhaitaient les Futuristes. D'ailleurs ces derniers,  féconds et actifs auteurs de livres d’artistes,  furent peut-être plus novateurs dans ce domaine que partout ailleurs.






Ovidio, Picasso, Metamorfosi, Skira, Lousanne, 1931.


Tristan Tzara, Mirò, Parler seul, poème, Maeght, Paris, 1950.



Après les expériences des avants gardes historiques, les artistes prennent de plus en plus leur indépendance et libèrent le Livre d’Artiste de toute dette ou lien littéraire, de tout pragmatisme et de toute esthétique typographique. Le livre devient toujours davantage Objet d’art à part entière, lieu de recherche et d’expérimentation. Ceci se produit en particulier dans les expériences de l’Arte Povera, de l’art conceptuel et abstrait et du minimalisme.
Ces recherches ont fait table rase et ont permis au livre d’exister comme moment d’art à part entière, comme lieu et moyen d’action artistique, parfois extrême et contestataire, libéré des canons traditionnels du style, de la mise en page, de la lisibilité.
Naissent alors les Livres illisibles de Munari, les effacés de Emilio Isgrò, ceux complètement transparents de Manzoni ou totalement bleus de Klein, abimés ou percés, fondu dans le bronze ou sculptés…






Bruno Munari, An Unreadable Quadrat-Print, Steendrukkerij de Jong, Hilversum, 1953.


Emilio Isgrò, Enciclopedia Treccani. Appendice II, Milano, 1970.


Laissons de coté les expériences extrêmes et volontairement subversives ou provocatrices, celles qui parfois ont fait du livre d’artiste un objet en trois dimensions, but en lui même, plus proche de la sculpture et de l’installation que du livre.  La riche expérience du livre d’artiste nous parvient  aujourd’hui intacte ayant parcouru de multiples chemins, visibles ou souterrains, et ayant joui de fortunes inégales, selon l’intérêt suscité chez les collectionneurs, les bibliophiles ou les simples passionnés. Et peut être est ce grâce à ces expériences extrêmes qu’il a pu prendre un nouveau départ désormais libre de la nécessité et du désir de désobéir,  et qu’il  a pu redevenir un medium  artistique et littéraire. C’est spécifiquement dans le domaine de l’illustration que le livre d’artiste commence à retrouver les potentialités  qui lui sont propres. Pensons à Bruno Munari, Luigi Veronesi, ou encore à l’intégralité des œuvres de Kveta Pacovska et Katsumi Komagata, pour ne citer que les plus connus.






Kveta Pacovska, Alphabet, Double planche tiré du livre publié par Seuil Jeunesse, Paris, 1997.


Katsumi Komagata, Found it!, One Stroke, Tokio, 2002


Dans les dernières années nous assistons en Italie à un renouveau de l’intérêt pour le livre d’artiste. Ce dernier, en réalité, ne s’était jamais éteint notamment dans certains Pays d’au-delà des Alpes, comme la Belgique, l’Allemagne ou encore la France, où le culte du livre d’artiste ou de son équivalent livre ancien ou d’occasion, destiné à d’autres poches, se pratique au quotidien entre un café et une baguette. Limitant notre étude à la seule Italie (bien que dans ce contexte de mondialisation limiter l’analyse à un seul territoire sonne un peu faux et forcé) nous notons une attention renouvelée à son sujet. Parmi les rendez vous les plus visibles de la dernière décennie, rappelons l’exposition capitale des oeuvres graphiques et des livres d’artiste de Max Ernst à la Galerie Guggenheim de Venise en 1991; l’exposition de Reggio Emilia de la riche Collection Mignardi de livres d’artiste en 2005, ensuite représentée sous une autre forme à Parme en 2008 ; l’exposition à la Galerie d’Art Moderne de Rome en 2006, et celle toute récente au Musée du Novecento à Milan en 2012. On observe également une multiplication de salons-expositions,  de biennales du Livre d’artiste et d’ateliers qui associent un travail artisanal à des expériences renouant avec l’origine du livre d’artiste ou plus exactement son ancêtre d’avant garde, le Livre du peintre, binôme écriture-peinture par excellence.






Paul Eluard, Max Ernst, Un poème dans chaque livre, Paris, 1956, exposé a Venise en 1991.


Les éditeurs de livres illustrés eux-mêmes, non seulement les italiens, semblent attirés par le genre. Certaines collections proposent souvent des éditions limitées sur des papiers prestigieux qui se présentent comme des vitrines absolument artistiques. Evoquons les publications des éditions Trois ourses, les Cahiers de dessins publiés par Passage Pietons, les Touzazimute des Editions Rouergues, les Cahiers d’Artiste de Corraini, les livres de Pulcinoelefante, de Nuages, les éditions limitées de l’éditeur Henry Beyle, ou simplement certains travaux de Calasso, parmi lesquels le plus récent La Folie  Baudelaire, dans la version de luxe publiée par Adelphi en parallèle à l’édition courante.
Einaudi lui-même (par ailleurs à l’honneur dans une rétrospective intéressante qui vient de fermer ses portes au Palazzo Reale de Milan) a récemment publié une version prestigieuse de Jazz de Matisse, version soignée et attentive à la version originale publiée par Tériade en 1947.
 Henry Matisse, Jazz, Tériade, Paris, 1947 republié par Einaudi en 2012.






Chloé Poizat, Machines, Editions du Rouergue, Arles, 2000.




A quoi tient ce renouveau de l’attention ? Pourquoi tant d’intérêt  et d’activité autour du Livre d’Artiste ?

Osons une hypothèse : à l’époque des substituts virtuels, le seul livre survivant sera le Livre d’Artiste. Si bientôt le support papier disparaît au profit de l’écran, si les livres d’école ou de loisir deviennent des e-book, que les manuels et les codes professionnels deviennent des banques de données consultables en ligne, alors il est fort probable que le seul livre qu’on aura encore le désir de posséder sera le livre Œuvre d’art. Le livre d’Artiste, demeurera alors l’unique dépositaire d’une expérience multiple, intellectuelle aussi bien que sensuelle : le contact tactile avec le grain du papier, la pression du caractère typographique, l’expérience olfactive de l’encre de l’impression, la colle de la reliure, sera, de manière sublime et accentuée, ce qui nous fera cruellement  défaut et que nous désirerons. Désir satisfait en édition limitée, cependant. 

En effet, le livre d’artiste est bien un Art qui se feuillette, mais qui n’est pas pour tous et sans doute pas pour beaucoup au même moment. Les temps, les rythmes et les lieux où l’on peut en jouir sont de fait limités à une seule personne ou un peu plus ; feuilleter, lire ou regarder un livre d’artiste c’est participer à un événement privilégié et exclusif, et ce n’est donc pas précisément une expérience démocratique, comme l’entendait une certaine recherche utopique du livre d’artiste des années soixante (voilà donc expliqués les livres uniques d’Anselm Kiefer). C’est un art qui renferme en outre une certaine malice parce qu’il est discret, solitaire et difficile à exposer (il se range dans une bibliothèque ou se met à l’abri dans un secrétaire) et c’est comme s’il faisait sainement la grimace à une époque où tout n’est qu’image, ostentation, exhibition. 

Anselm Kiefer, Märkischer Sand IV, 1977.









Cozette de Charmoy, Dance vanitas dance, Despalles, Paris-Mainz,1996.







Bibliographie essentielle:
Bruno Munari, Da cosa nasce cosa, Laterza, 1981
Max Ernst, Prints and Books, Lufthansa Cultural Affaires, Bonn, 1991
A cura di Germano Celant e Giandomenico Romanelli, Anselm Kiefer, Charta, Milano, 1997
Grand Cru, Silvio Zalmorani editore, Torino, 1999
AAVV, L’alphabet est une caille rôtie, Despalles Editions, Paris/Mainz, 2004
AAVV, Parole disegnate, parole dipinte. La collezione Mingardi di libro d’artista, Skira, Milano, 2005
Giorgio Maffei e Maura Picciau, Il libro come Opera d’Arte, Corraini, Mantova, 2006
AAVV, Allo! Paris! Il libro d’artista da Manet a Picasso nella collezione Mingardi, Skira, Milano, 2008
Melania Gazzotti a cura di, Libri d’artista e libri oggetto, Ed. Fondazione Berardelli, Brescia, 2012

Quelques sites:
www.corraini.com